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Combien de tonnes de gaz à effet de serre sont générées pour soutenir l’appétit des consommateurs québécois? Grâce à un nouvel indicateur, les premières données publiées vendredi par l’Institut statistique du Québec, les consommateurs ont une meilleure idée de l’empreinte carbone qu’ils laissent chez eux… et à l’étranger.

Posté à 18h00

Presse Judith Lachapelle

Gaz produit, gaz consommé

Les données sur l’empreinte carbone d’un pays sont souvent basées sur la quantité de gaz à effet de serre (GES) émis sur son territoire et le nombre de personnes qui y vivent. Le nouvel indicateur annuel, développé par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), aborde le problème différemment : il mesure la quantité d’émissions de gaz à effet de serre, ici et ailleurs, par chaque ménage québécois pour maintenir sa consommation annuelle de biens et services . Cela tient compte de la quantité d’émissions de gaz à effet de serre pour la production de tonnes de bananes consommées par les résidents du Québec. Toutefois, les gaz à effet de serre émis par les crabiers gaspésiens dont les récoltes sont expédiées à l’étranger sont exclus. “C’est la première fois que nous utilisons des sources de données macroéconomiques de Statistique Canada et de l’OCDE pour établir l’empreinte carbone”, a déclaré Sophie Brehain, chargée de projet à l’ISQ. Annie Levasser, professeure à l’École de technologie supérieure et titulaire du Département canadien de recherche sur la mesure de l’impact des activités humaines sur les changements climatiques, se réjouit de la création de cet indice. “Quand on ne considère que les inventaires territoriaux, cela couvre complètement toutes les émissions liées aux importations. En tant que citoyens, nous avons un grand pouvoir sur cet élément car nous pouvons faire des choix de consommation. »

8,7 tonnes d’équivalent CO2 par habitant

Émissions moyennes de GES générées pour soutenir la consommation des ménages québécois en 2017

Source : Institut statistique du Québec

Considérez tout

L’empreinte carbone des ménages se compose de deux types d’émissions de gaz à effet de serre : directes et indirectes. Les émissions directes sont celles qui sont produites à partir de la consommation d’énergie fossile par les ménages eux-mêmes, comme le carburant dans la voiture, le mazout, le gaz pour le poêle. Les émissions indirectes sont celles résultant de la production de biens et de services consommés par les ménages – par exemple, les machines agricoles nécessaires à la culture du blé, au transport des céréales et d’autres ingrédients jusqu’à la boulangerie et à la livraison du pain à l’épicerie. Trois gaz de mesure des gaz à effet de serre ont été étudiés : le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Cependant, les données sur les émissions de méthane et d’oxyde nitreux générées à l’extérieur du Canada ne sont pas disponibles. Par conséquent, l’empreinte carbone globale est sous-estimée, avertissent les auteurs de l’étude.

L’énergie dans l’esprit

ILLUSTRATION DE L’ISQ

“Le but de ce type de compilation est d’identifier des leviers potentiels où il est possible d’agir”, rappelle Ani Levaser. Sans surprise, près de la moitié des gaz à effet de serre générés par les ménages québécois sont directement liés à la consommation directe de carburants fossiles par leurs propres véhicules. La moitié des émissions de la catégorie Transport, quant à elle, est générée par le transport aérien. Il n’y a pas 36 solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans cette catégorie : il faut consommer moins d’essence. “Il faut essayer de réduire l’auto-conduite, que ce soit en utilisant les transports en commun, en prenant les transports actifs, en partageant les déplacements, en réduisant les distances”, a déclaré Ani Levaser.

aliments

L’autre source principale de gaz à effet de serre dans la consommation québécoise est l’alimentation. En 2017, les dépenses en nourriture et boissons (y compris les restaurants) représentaient la plus grande part des dépenses des ménages (21%). Et contrairement au secteur de l’énergie, les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre du Québec ont été déversées ailleurs au Canada ou ailleurs. L’achat d’aliments locaux peut évidemment aider à réduire la part des gaz à effet de serre dans ce secteur. Or, rappelle Mme Levasseur, réduire la consommation de viande dont l’empreinte carbone est supérieure à celle des végétaux a aussi un effet non négligeable. “C’est la mesure la plus simple, mais pas forcément la plus précieuse”, admet-elle. L’ISQ indique que les émissions provenant de l’élevage d’animaux destinés à l’abattage à l’étranger sont sous-estimées. “Compte tenu du méthane qui est souvent libéré lors de la fermentation intestinale de certains animaux, il y aurait probablement des émissions gonflées du secteur agricole primaire. »

Là où les Québécois ont pollué

La plupart du temps, les Québécois polluent leur maison pour subvenir à leur consommation. Lorsqu’ils polluaient à l’étranger, les États-Unis (26 %) et la Chine (24 %) reprenaient en charge leurs émissions de gaz à effet de serre. Pour la catégorie Food and Beverage, la plupart des émissions de CO2 sont réalisées dans des pays autres que ces deux géants, notamment le Mexique.

Émissions de GES par emplacement

Émissions de gaz à effet de serre au Québec : 62 %

Émissions de gaz à effet de serre ailleurs au Canada : 14 %

CO2 émis à l’extérieur du Canada : 24 %

Des comparaisons difficiles

Alors, 8,7 tonnes par ménage au Québec, c’est beaucoup? Le jeu des comparaisons est difficile car les méthodologies diffèrent entre les indices qui mesurent l’empreinte carbone et la consommation des ménages. «Mais on sait qu’au Québec, les émissions directes sont moindres grâce à l’hydroélectricité», rappelle Mme Levasseur. « Par contre, on sait qu’en matière de consommation, on n’est pas forcément champions… Et c’est le cas partout en Amérique du Nord, où on consomme beaucoup plus de ressources que dans d’autres pays. Sophie Brehain prépare pour sa part une mise à jour de l’indicateur avec des données pour 2018. “Puisque ce sera un indicateur annuel, je pense qu’il vaudrait mieux le comparer à nous-mêmes, sur plusieurs années. »

Équivalent CO2

Dans l’étude, l’empreinte carbone est exprimée en « équivalent » de dioxyde de carbone (éq. CO2) afin de prendre en compte le potentiel de réchauffement climatique des différents gaz à effet de serre. Par exemple, le méthane est de 25 équivalents CO2 et l’oxyde nitrique est de 298.

Source : Institut statistique du Québec