France

la méthode des enquêteurs pour évaluer les résultats le dimanche à 20h

Alors que la plupart des pays européens, en particulier le Royaume-Uni, s’appuient sur les sondages à la sortie des urnes pour annoncer les vainqueurs des élections, en France, les sociologues fondent leurs estimations sur les bulletins de vote réellement comptés. Explications.

Le dimanche 24 avril, comme à l’accoutumée, le visage du vainqueur de l’élection présidentielle – Emmanuel Macron ou Marine Le Pen – apparaîtra en direct à la télévision à 20 heures précises. Dans les grandes villes, cependant, les bureaux de vote viennent de fermer. Alors comment les sociologues parviennent-ils à donner un gagnant à 20 heures, alors que tous les votes n’ont pas encore été comptés ?

Contrairement au travail de la plupart des autres pays européens, les résultats annoncés à 20h00 ne sont pas des sondages à la sortie des urnes. Les sociologues français fondent leurs estimations sur les premiers bulletins effectivement recensés.

Pour ce faire, tout se joue dans l’heure qui précède l’annonce du résultat. En France métropolitaine, les bureaux de vote ferment à 19 heures dans la plupart des communes et à 20 heures dans les grandes villes, notamment Paris et Marseille. Grâce à ce retard d’une heure – qui était de deux heures lors de la précédente élection – les sociologues peuvent déterminer le vainqueur.

“Ils utilisent des interviews, nous utilisons des newsletters”

“La principale différence avec le sondage sortie des urnes, c’est qu’au lieu de demander aux personnes extérieures au bureau de vote comment elles ont voté, on regarde directement leurs bulletins de vote”, explique Mathieu Doare de l’institut sociologique Ipsos, partenaire de France 24 à l’élection présidentielle. “Cela nous oblige à attendre que les premières élections se clôturent à 19h00, alors que les sondages à la sortie des urnes peuvent être ouverts toute la journée.”

Ipsos, comme d’autres instituts sociologiques, envoie environ 500 sociologues dans différents bureaux de vote sélectionnés pour être représentatifs de la diversité du pays. Selon Mathieu Doare, l’idée n’est pas tant de trouver des zones où les habitudes électorales reflètent le reste du pays, mais plutôt d’avoir des bureaux de vote qui révèlent des tendances. Cela pourrait être, par exemple, pour voir s’il y a un grand nombre de personnes qui se déplacent ou non dans les forteresses d’un candidat.

Une fois sur place, les enquêteurs appellent l’Institut sociologique à chaque centaine de bulletins comptés pour annoncer les résultats. Le logiciel s’occupe de la centralisation de toutes les données et en les comparant avec les données des élections précédentes, élabore des prévisions.

Ainsi, en début de soirée électorale, les instituts sociologiques peuvent dresser un premier bilan qui sera mis à jour au fil des heures au fur et à mesure du décompte des voix.

“Les sociologues britanniques, par exemple, sélectionnent également un échantillon représentatif de bureaux de vote et comparent les résultats avec les élections précédentes pour établir leurs prédictions”, explique Mathieu Doare, dont l’institut mène également des recherches au Royaume-Uni. “La seule différence réside dans le matériel source : ils utilisent des interviews, nous utilisons des newsletters.”

Pour le spécialiste, compter sur le dépouillement réel des votes, plutôt que sur les sondages à la sortie des urnes, présente certains avantages. Dans le cas britannique, par exemple, les électeurs sont libres de ne pas vouloir dire aux sociologues quel bulletin ils ont mis dans l’urne.

Risque d’erreur ?

Jusqu’à présent, ce système a fait ses preuves. A chaque élection, les sociologues ont réussi à marquer en 20 heures, y compris au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, malgré le petit écart qui a permis au leader d’extrême droite Jean-Marie Le Pen de dépasser le socialiste Lionel Jospin.

“On n’a pas encore vu d’instituts sociologiques incapables d’annoncer le lauréat ou les finalistes du second tour à 20 heures”, précise Mathieu Doare. “Il n’y a eu qu’une seule fois où il y a eu confusion, en 1974. La même année, Valérie Giscard d’Estaing l’a emporté par seulement 400 000 voix sur son adversaire, soit le plus petit écart jamais enregistré. “Mais avec l’expertise et les capacités techniques d’aujourd’hui, nous n’aurions même pas de telles difficultés”, a déclaré le spécialiste.

Cependant, la surprise ne peut pas être totalement exclue. C’est ce qu’espéraient certains électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour le 10 avril. A 20 heures, le candidat désobéissant s’est vu attribuer 20%. Au final, il a terminé, selon le recensement officiel du ministère de l’Intérieur, avec 21,95% du nombre total de suffrages exprimés.

“Les choses se compliquent lorsque les candidats obtiennent de bien meilleurs résultats aux urnes que lors des élections précédentes dans un certain type de circonscription”, explique Mathieu Doare. “Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, son soutien dans les zones rurales est resté largement inchangé depuis 2017, mais il a bondi dans certaines zones urbaines, où les bureaux de vote ont ensuite fermé. Nous ne pouvions donc pas dire avant 20h00, quand ces bureaux ont commencé à communiquer leurs résultats.”

La tentation de faire confiance aux médias étrangers

Si les médias attendent la clôture des élections pour annoncer dimanche les premières estimations, des anonymes seront postés sur les réseaux sociaux, mais des médias belges ou suisses publieront également en fin d’après-midi des hashtags #RadioLondres basés sur des sondages à la sortie, des sondages précis ou d’anciens sondages.

Bien qu’il puisse être tentant de s’y référer, ces résultats sont souvent peu fiables. Preuve en était il y a deux semaines, lors du premier tour de scrutin, lorsque des rumeurs parlaient d’égalité entre Macron et Le Pen – plus tard, il s’est avéré que le président sortant avait quatre points d’avance.

Et ces résultats sont également contraires à la loi française. La France est en période de “silence électoral” de vendredi 23h59 à dimanche 20h. En conséquence, il est interdit aux médias français de citer des candidats ou de publier des sondages d’opinion afin de ne pas influencer les électeurs. Ces règles s’appliquent également aux candidats et à leurs équipes qui ne sont pas éligibles à faire campagne dans les 44 heures précédant la fin de l’enquête.

Dans un communiqué publié le 4 avril, la Commission nationale de contrôle de la campagne présidentielle, la CNCCEP et la Commission sociale ont rappelé que la publication de résultats ou de sondages ou leur diffusion, y compris sur les réseaux sociaux, est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 euros.

Cet article a été traduit de l’anglais par Cyril Cabot.