Au-delà des mesures consensuelles, comme le développement du très haut débit en France, présentes dans les deux programmes, les deux finalistes à l’élection présidentielle proposent deux visions très différentes du numérique. Quand Emmanuel Macron, de La République en marche (LRM), mettait l’accent sur la régulation des grandes entreprises du numérique au niveau européen, Marine Le Pen, du Rassemblement national (RN), prônait la “souveraineté” nationale.
Le cloud et les données personnelles
Sur la question sensible des données personnelles et notamment de l’hébergement cloud en ligne, les deux candidats ont des slogans et des références similaires, mais il existe des différences dans le degré ou la mise en œuvre. Macron comme Mme Le Pen prônent ainsi la “souveraineté numérique” face à l’hégémonie d’Amazon, Microsoft et Google dans le cloud. Mais mi-2021, le gouvernement a autorisé les structures publiques (administrations, collectivités locales, etc.) à utiliser un modèle hybride : des données hébergées par une structure régie par le droit européen qui interdit l’accès de droit américain mais de logiciel américain. Sur la base de cette idée, des partenariats se construisent actuellement entre Orange et Microsoft ou Thalès et Google. “Nous n’avons pas l’équivalent des entreprises américaines en Europe. (…) Ce n’est pas vrai qu’on aura tout de suite quelque chose de 100% français ou européen. (…) En attendant, il faut accepter le fait qu’on va faire quelque chose avec le cloud américain, que, par contre, on peut réguler », a laissé entendre le candidat LRM dans un entretien au Point.
Marin Le Pen a déclaré que ce modèle hybride était “voué à l’échec” car être “dépendant” d’entreprises américaines ou chinoises “c’est être à la merci de ces pays”. Pour le cloud, le matériel informatique, les télécommunications ou les logiciels, la candidate RN préconise “le recours exclusif à des prestataires français pour les marchés militaires et de sécurité nationale et pour le reste des marchés publics à privilégier les fournisseurs européens”. C’est ce que réclament de nombreux acteurs européens sous le nom de “Buy European Tech Act”. Ironie du sort, Emmanuel Macron a proposé une telle mesure en 2017, mais en vain. “En Europe, ce n’est pas par consensus”, a déclaré au Monde le secrétaire d’État au numérique Cedric O, ajoutant : “Ceux qui disent que cela arrivera dans deux ou trois ans sont des menteurs. »
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Les grandes entreprises du numérique
Face aux Gafam américains ou leurs équivalents chinois, Marine Le Pen veut aussi resserrer le contrôle sur les rachats d’entreprises françaises. Il n’exclut pas non plus de « s’inspirer » des mesures prises par le président Donald Trump contre le réseau social chinois TikTok : de cette manière, elles pourraient être contraintes « d’ouvrir le capital aux entreprises européennes » ou « de forcer les sociétés mères dont les filiales » opèrent dans l’Europe pour briser le lien hiérarchique qui les unit”, a-t-elle déclaré dans un entretien au Point.
Sur la vaste question de la puissance économique des géants du numérique accusés d’écraser leurs concurrents, l’équipe de Marin Le Pen a reconnu que le futur Digital Markets Act (DMA) européen, fortement soutenu par la France, relevait du “bon sens”. Un candidat du RN comme Emmanuel Macron ont tous deux cité l’exemple des États-Unis de Théodore Roosevelt, qui en 1911 ont liquidé la Standard Oil, fondée par John D. Rockefeller. “Il ne faut pas hésiter à envisager le démantèlement des plateformes numériques en situation de monopole”, a déclaré le candidat LRM. Cette possibilité est déjà prévue dans le DMA, mais plutôt en dernier recours. “Le démantèlement est un dernier recours”, mais pas une “proposition excessive ou forcée”, dit-on aussi de Mme Le Pen.
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Cyberprotection
Décrite par Emmanuel Macron dans son programme officiel comme “une grande menace pour notre époque”, la cybersécurité est l’une des priorités numériques des deux candidats. Marin Le Pen promet de “renforcer la cybersécurité nationale dans toutes ses dimensions : infrastructures, matériels, logiciels, capacités de détection d’attaques, formations spécialisées et sensibilisation du public”. Concrètement, ce renforcement passerait avant tout par l’augmentation des moyens de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (Anssi), de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de l’armée et la création de “commandos numériques” capables de neutraliser et contre-attaques. » En cas d’attaque informatique. Le rattachement de ces « commandos » (armée, services de renseignement, etc.) n’est pas précisé ; un appareil similaire existe déjà dans l’armée, Comcyber.
Emmanuel Macron promet de son côté de recruter 1 500 “cyberpatrouilles” chargées de surveiller de manière proactive la sécurité informatique, mais surtout de créer un “filtre anti-fraude” qui avertira en temps réel tous les internautes avant qu’ils ne le fassent. filtre” se basera sur une liste noire de sites considérés comme non fiables, et un avertissement apparaîtra sur l’écran de l’internaute pour s’y rendre – cependant, sans en bloquer l’accès, de nombreuses questions pratiques sur ce projet restent cependant sans réponse.
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Des médias sociaux
Emmanuel Macron confirme dans un autre entretien au Point que « nous entrons dans une phase où il va falloir réguler davantage » les réseaux sociaux, qu’il juge responsables du « rétrécissement » des internautes dans des cercles où tout le monde pense la même chose et pointe également du doigt “l’addiction aux écrans” ou encore “la violence par l’anonymat”, qui selon lui “ne devrait pas exister dans une société démocratique”. que l’anonymat en ligne ne joue qu’un rôle mineur dans le phénomène de la haine en ligne : M. prendre en dehors des négociations européennes en cours, et la question de la haine ou du harcèlement en ligne était prépondérante dans la loi aéronautique de 2020. mais largement contestée par le Conseil constitutionnel.
Le programme de Marin Le Pen contient une mesure particulièrement remarquable sur la question de la modération des réseaux sociaux, que le candidat RN considère, comme Donald Trump, comme accro à sa famille politique. Elle veut interdire aux réseaux sociaux de modérer des contenus selon des règles qui iraient au-delà de la loi française ; “Seule l’application de la législation nationale, par exemple sur l’incitation à la haine, la protection des mineurs, [peut] servir de base au téléchargement de contenus ou à la clôture de comptes », croit-elle au volet numérique de son programme.
Cette mesure, si elle était instaurée, reviendrait à interdire aux modérateurs de Facebook ou de YouTube – dont les lacunes sont désormais souvent pointées du doigt – toute action qui n’aurait pas été décidée par un tribunal. Des millions de contenus sont désormais supprimés chaque jour en France sur ces plateformes. A défaut de leur coopération, Mme Le Pen a également pointé la possibilité pour la France de se doter de ses propres outils : leurs pratiques », écrit-elle. Sans préciser comment il sera, ou non, modéré.
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Damien Lelloup et Alexandre Picard
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